Schwelle 7 : une passerelle unique entre danse contemporaine et pratiques SM
Par Stephanie Pichon / secondsexe magazine
25. Janvier 2010
Le chorégraphe allemand Felix Ruckert présentait cette semaine Pain and Présence au festival parisien Faits d’Hiver. Une conférence performance expliquant son travail entre art et techniques BDSM (1). Ses pièces aux références sexuelles explicites n’ont pas toujours trouvé leur place dans le circuit conventionnel. En 2007 il crée donc son propre lieu dans un loft berlinois : le Schwelle 7, où se côtoient artistes, publics néophytes, parties BDSM et performances chorégraphiques.
Wedding, le long des rives du canal. Au Nord de Berlin, un quartier populaire se transforme. Galeries, bars à la mode, espaces d’expositions dans des entrepôts industriels se succèdent. Au fond d’une cour, le Schwelle 7 se cache dans les Étages : un loft à la berlinoise qui fait dans le sobre. Une grande salle lumineuse aux murs blancs, un beau lieu spacieux et zen. Et en même temps excitant, un peu effrayant, attirant et très différents rapporte la danseuse finlandaise Linda Priha dans un article pour un magazine finlandais qui ajoute beaucoup de gens semblent avoir une opinion dessus même s’ils n’y sont jamais allés. Sa réputation sulfureuse tient à son mélange unique de danse contemporaine et d’influence sadomasochiste.
Schwelle 7
Ses deux fondateurs, le chorégraphe allemand Félix Ruckert et la danseuse Dasniya Sommer précisent : Nous ne sommes pas un lieu SM dans le sens habituel du terme. Malgré la radicalité de nos propositions nous essayons de préserver une ouverture et une flexibilité dans nos actes et nos pensées.
Rien qu’à la liste des stages et cours, on se doute que l’on n’est pas non plus dans un studio de danse contemporaine habituel. BDSM et Performance, Yoga and japonaise Bondage (2), Pain Processing, Konzeptuelle Orgie, Touch and Play festival... Bienvenue dans un lieu unique, qui depuis 2007 réunit danseurs contemporains et performers de la scène SM, public néophyte et chorégraphes internationalement reconnus, adeptes du yoga et amoureux du travestissement, célébrations orgiaques et ateliers d’apprentissage de la douleur.
Nulle part ailleurs à Berlin se croisent autant de courants, de personnes aux horizons divers, tous avides d’expériences esthétiques, de performances extrêmes, d’états émotionnels aiguisés. En allemand Schwelle ne signifie t-il pas, le seuil, la traversée ?
Douleur et présence
La performance “Die Farm“
Dans l’une de ses dernières pièces Die Farm présentée au Schwelle 7il met en scène trois corps de femmes suspendus à des cordes, soumis à des pincements, des frottements de peau, on constate les impacts, les traces de la douleur.
Félix Ruckert mène le jeu. Le public ne peut qu’être saisi, effrayé peut-être, submergé lui aussi de vagues d’èmotions. Dasniya Sommer, est l’une d’entre elles. Venue du ballet classique (elle a dansé au Staatsballett de Berlin) et professeur yoga, l’ancienne ballerine a fait du Bondage japonais sa spécialité. Cofondatrice du Scwhelle 7 avec Felix Ruckert, elle explique à quel point la confiance et la maitrise de soi joue un roule important. “La confiance des deux côtés est indispensable. être attaché signifie s’abandonner librement, accepter volontairement de devenir sans défense. Cela peut conduire la personne qui attache à des États divers, entre instincts de protection ou impulsions sadiques. Le but n’est pas d’éviter ces sentiments, mais plutôt de les intégrer dans le jeu. “
Un lieu unique ou le Spectator ne se contente pas de voir
Berlin, ville ouverte aux sexualités alternatives
Aujourd’hui la salle rencontre son public, la programmation est intense, des artistes venus du monde entier viennent y faire des stages, comme le chorégraphe et danseur anglais Julyen Hamilton, un ami de Félix Ruckert qui est revenu pour la troisième année en décembre. A presque 50 ans le chorégraphe a conservé beaucoup d’amis dans la scène de la danse contemporaine, le week-end dernier il était à Paris pour un stage de la chorégraphe octogénaire américaine Anna Halprin. “Le Schwelle 7 touche du monde, des gens différents. Mais la plupart sont des danseurs, même si beaucoup dans le milieu contestent ce lieu. Ceux qui viennent ont une grande ouverture d’esprit, ils ont envie d’expérimenter des émotions et la physicalité des gens du SM“. Pour ces derniers, venir au Schwelle 7 c’est aussi sortir de l’intimité habituelle du jeu SM. “Lors des ateliers, ils sont souvent effrayés par la promiscuité avec d’autres personnes. Ils ne sont pas forcément préparés à se confronter à des partenaires qu’ils ne connaissent pas. Les danseurs ont une distance vis à vis de l’émotion que les personnes venus du SM n’ont pas. Pour eux n’y a pas de distance entre l’action et l’émotion et c’est une force je trouve“.
Félix Ruckert
Félix Ruckert se définit absolument comme un pionnier de la rencontre entre scène artistique et scène BDSM. Même s’il constate qu’en Allemagne il y a de plus en plus de gens qui partagent leurs pratique, leurs propres univers. “Ca fait dix ans que le BDSM commence à aller vers un public, il y a de plus en plus de lieux, de bars, de cours“. D’autant plus à Berlin, ville tolérante, déviante par excellence, très ouverte aux sexualités alternatives.
En avril l’une de ses pièces les plus jouées, Secret Service, datant de 2002 sera rejouée à Berlin, au Schwelle 7 et au Havre. Une pièce ou les spectateurs s’en remettent les yeux bandés au savoir-faire des danseurs dans une communication des corps. Avant la représentation, quelques règles sont énoncées "au niveau 1, vos yeux seront bandés. Mouvement, plaisir des sens et communication" sont les moteurs de ce premier niveau. (...) Vous ne pourrez participer au niveau 2 que si vous avez réussi le précédent. En plus des yeux bandés, vos mains seront attachées. Nous vous demanderons d’enlever le plus de vêtements possible pour permettre un accès optimal à votre peau.(...) Le niveau 2 se concentre sur l’expérimentation de la douleur corporelle et de la soumission.(...) La participation à "Secret Service" est à vos propres risques et périls“. Une façon sensitive d’aborder l’univers si particulier d’un chorégraphe atypique.
Stéphanie Pichon